Ce Mémoire de stage a été réalisé dans le cadre de la validation d’un Mastère de Journalisme multisupports Spécialité Journalisme International.
Les propos de ce mémoire n’engagent que son auteure.
Introduction :
Depuis quelques années, la société irlandaise connaît une période de mutation, peut-être la plus importante depuis son indépendance en 1921. Elle a été secouée en 2015 par le « oui » au référendum sur le mariage homosexuel et est aujourd’hui agitée par les débats sur la légalisation de l’avortement. Il faut bien mesurer le tournant que connaît cette société qui a dépénalisé l’homosexualité en 1993 seulement.
Ces questions de société sont très largement relayées sur les réseaux sociaux par les quelques 4 800 000 Irlandais. Ainsi, les pro-avortements ont lancé un hashtag (#repealthe8th) le 28 septembre dernier sur Twitter tandis que les anti-IVG ont une page Facebook intitulée Pro Life Campaign Ireland suivie par plus de 40 000 personnes. L’audience est potentiellement énorme.
Depuis quelques mois, un nouveau débat agite la société irlandaise et fait descendre les Irlandais dans la rue (ce qui est très rare) : la Water tax ou la taxe sur l’eau dont les Irlandais ne veulent pas entendre parler. Et les protestations prennent corps sur les réseaux sociaux. En mars 2015, 110 groupes Facebook avaient été crées pour relayer les horaires et vidéos de manifestations contre la Water tax.
Nous voyons bien dans le cas présent le rôle que les réseaux sociaux peuvent jouer dans les débats de société. D’autant plus que les Irlandais forment un peuple très connecté. Selon une enquête de l’organisme de statistiques, StatCounter, les Irlandais sont ceux qui utilisent le plus, en Europe, leur téléphone pour surfer sur le web. La proportion du trafic internet via les mobiles est environ un tiers plus élevé que la moyenne européenne et un quart plus important que leur voisin britannique. Même si les ordinateurs sont de plus en plus délaissés en faveur des téléphones et des tablettes, 82 % des ménages irlandais ont accès à Internet en 2014 selon le Central Statistics Office.
Selon ce même organisme, surfer sur les réseaux sociaux représente la deuxième activité des Irlandais sur Internet, derrière l’envoi de mail. 70 % des Irlandais utilisent quotidiennement Facebook.
Les journalistes de l’île verte ne sont pas en reste. 99 % d’entre eux s’appuient sur les réseaux sociaux dans leur activité professionnelle. La moitié y va même tous les jours. D’après leurs déclarations, les journalistes s’en servent essentiellement pour trouver des sujets originaux ou pour contacter directement des interlocuteurs. Par ailleurs, dès 1994, The Irish Times, le journal le plus ancien du pays, fut l’un des premiers à lancer son site internet. Il dispose aujourd’hui d’une version numérique payante, à l’image de ce qui se pratique dans de nombreux grands médias.
Par ailleurs, un autre grand média irlandais The Independent a appelé les Irlandais à immortaliser le 24 avril 2016 en photo à l’occasion du centenaire de l’insurrection de Pâques. Le but est de créer un recueil de photographies pour les générations futures. Mais le plus marquant dans cet appel est que l’Independent demande des photographies prises avec les smartphones et non avec des appareils photos. Le quotidien présent aussi sur le net aurait pu faire la même demande avec des photos prisse par un appareil, mais il a spécifié des photographies prises avec les téléphones. The Independent a même donné des conseils pour prendre de belles photos avec son smartphone. Cette initiative montre clairement la domination du smartphone dans les nouveaux usages des consommateurs et comment les médias s’y adaptent.
Preuve supplémentaire que l’Irlande est en avance en matière de nouvelles technologies, c’est à Dublin que se tient le salon international du journalisme mobile, « Le Mojocon » depuis deux ans. De nombreux journalistes et experts discutent de l’impact du smartphone et de la façon dont on peut renouveler les pratiques du métier avec ce nouvel outil. La conférence est aussi très pratico-pratique avec des discussions autour des meilleures applications, du matériel le plus pertinent…
Il est intéressant de noter que ce rassemblement réunit des journalistes du monde entier. Cela montre que la réflexion sur les outils et les défis qu’ils provoquent transcende les deux grands modèles de journalisme : anglo-saxon ou à la française. Chaque paradigme doit s’adapter, voire devancer les usages pour continuer à exister.
La conférence a aussi mis en lumière que la définition du mojo (mobile journalism) reste assez floue. C’est essentiellement filmer et parfois monter des images avec son téléphone. Mais certains utilisent le mojo dans un sens plus large, que nous verrons un peu plus loin.
Lors de la crise de 2008, la presse a été durement touchée. Les difficultés financières ont renforcé le phénomène de concentration des médias. Independent News and Media est le premier groupe de presse irlandaise avec cinq journaux nationaux et pas moins de treize journaux régionaux dans l’île verte. Des titres incontournables comme Irish Independent, Sunday Independent, The Herald, ou The Star font partie du groupe de Denis O’Brien. Pour juguler le monopole, le gouvernement irlandais a décidé que les propriétaires de plus de 20% d’un titre auraient désormais plus de difficultés à acheter un autre titre.
Mais avant de devenir photographe de presse ou journaliste, il faut passer par des études en un an, contre deux voire trois en France. Aujourd’hui, les formations irlandaises intègrent les changements de l’ère du numérique. Par exemple, il existe une formation à Cork intitulée « M.A Journalism with New Media ». Les étudiants sont sensibilisés à l’impact des nouvelles technologies sur la pratique du métier et sur l’industrie de la presse. Même dans les études journalistiques classiques, les réseaux sociaux et le numérique sont désormais pris en compte : à l’université de Dublin, un des objectifs des études est de « train people to be critical journalists across evolving media platforms », soit de former les étudiants à devenir des journalistes critiques tout en tenant compte de l’évolution des supports médiatiques. L’Irish Academy of Public Relation propose même, sur Internet, des cours de journalisme mobile qui s’adaptent aussi bien à la radio qu’à la télévision.
Cela montre que le net et les nouvelles technologies ne sont plus l’apanage des webjournalistes comme cela a pu l’être au début, quand le reste de la profession regardait avec méfiance ce nouvel outil. Les journalistes de télévision, de radio, dans les grands médias ou même certaines télévisions locales se lancent dans le mobile journalisme et transforment ainsi leur narration et leur rapport au public et à l’information. Le journaliste se réapproprie aussi le smartphone qui est un outil accessible à tous.
La gratuité de l’information, son instantanéité, sa concision sur Twitter sont autant d’éléments que les journalistes d’aujourd’hui doivent appréhender et même dépasser. Les attentes de l’internaute sont différentes, l’interactivité du web a rebattu les cartes, entraînant avec elle un nouveau type de journalistes : le webjournaliste multitâche ou « journaliste Shiva » selon l’expression d’Arnaud Mercier. Ce type de journaliste est même en train de muter vers un nouvel outil, le smartphone entrainant de nombreux défis déontologiques, économiques ou professionnels.
Pourtant, le mobile journalism n’en est qu’à ses débuts et peu de médias développent pour l’instant ce type de journalisme. Seule la chaîne de télévision publique RTE s’est véritablement lancée, en Irlande, dans le mojo. Et encore, il n’y a pas de reporters qui ne fassent que du mojo. « Nous n’avons pas de reporters mojo en tant que tel, explique Philip Bromwell, considéré comme le « champion mojo » de RTE. Nous avons seulement des gens qui pratiquent le mojo à différents degrés. » Cependant, tous les acteurs du mojo se montrent enthousiastes à l’égard de ce nouvel outil. Chacun expérimente, et créé ses propres usages.
C’est ainsi tout le journalisme qui doit se repenser, qui doit se forger une nouvelle identité du fait du bouleversement numérique et du changement des outils. Les pratiques des journalistes sont ainsi en pleine mutation. Le phénomène est d’autant plus aigu en Irlande car la société et les journalistes sont très connectés. Les professionnels irlandais se penchent aujourd’hui sur le journalisme mobile, le « Mojo », et recherchent de nouveaux formats plus innovants et/ou moins chers.
C’est pourquoi ce mémoire de stage aura pour but d’étudier le renouvellement de la pratique journalistique en Irlande à l’ère de la domination du smartphone comme créateur et récepteur de contenus. Comment le métier de journaliste s’est-il adapté à la transformation des outils et comment les journalistes intègrent-ils le smartphone dans leur travail ?
Cette question en appelle d’autres : quel est l’impact du renouvellement de la pratique journalistique sur l’information ? La fiabilité de l’information ou sa mise en œuvre est-elle toujours la même ? Dans quelle mesure le mobile est une technologie de rupture ? Quels rapports le mojo entretient-il avec le webjournalisme ? Par ailleurs, quelle est la place du journaliste dans cette société connectée ?
Pour répondre à ces questions, cette étude combine deux méthodes d’analyse : cinq entretiens réalisés avec des journalistes lors du Mojocon 2016 dans la capitale irlandaise, Dublin, et une journée d’immersion dans les locaux de la chaîne publique de télévision et radio RTE.
Pour lire la suite, téléchargez le Mémoire en PDF en cliquant sur ce lien : memoire-tiphanie-naud-ecole-du-journalisme-de-nice